Demain, quels services de santé de proximité avec le numérique et l’innovation ?
Depuis la fin des années 2000, les pouvoirs publics recourent de plus en plus à l’innovation en matière de santé. Le vieillissement de la population, conjugué à l’importance des déserts médicaux, a enclenché un mouvement de restructuration de l’offre de soins sur le territoire. Mesure emblématique de ce nouveau paradigme : la création des maisons de santé en 2007. Celles-ci visent à regrouper professionnels de santé généralistes et spécialistes pour offrir aux patients un parcours de soins intégré. De nombreuses autres expérimentations ont été menées : groupement hospitaliers de territoire, les hôpitaux de proximité, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), etc. Ces initiatives, souvent venues d’en-haut, n’ont pas toujours produit les résultats escomptés.
Dans ce contexte, les acteurs des territoires s’organisent pour concevoir des organisations et des outils centrés sur les besoins des usagers et adaptés aux enjeux actuels du système de santé. Un nouvel élan d’innovations qui provient du terrain. C’est sur ce mouvement qu’Abylon s’est penché.
Déserts médicaux : l’aggravation des inégalités d’accès aux services de santé
Le phénomène de la désertification médicale touche de plus en plus de territoires. En février 2020, une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a montré que, en 2018, 3,8 millions de Français habitaient dans des territoires sous-dotés en médecins généralistes. Ils étaient 2,5 millions en 2015. Ce problème structurel touche d’abord les zones rurales, les petites et moyennes villes et les banlieues, c’est-à-dire des territoires qui rencontrent déjà plus souvent une précarité économique et sociale. Les populations concernées subissent un allongement des délais de prise en charge et des distances à parcourir pour consulter un médecin. Dans ces territoires, il faut en moyenne compter six jours pour une consultation chez un médecin généraliste. Le délai est encore plus important pour les spécialistes, allant par exemple jusqu’à trois mois pour un radiologue.
Cette situation est le résultat de la conjonction de trois phénomènes :
- Une démographie médicale en baisse en raison de nombreux départs en retraite
- L’application, pendant des décennies, d’un numerus clausus qui limite le nombre d’admis au concours de première année de médecine
- Le choix des jeunes générations de médecins de commencer leur carrière dans d’importants centres hospitaliers (63% en 2018 selon la DREES)
Un besoin croissant de proximité et de coordination des parcours de soin
La situation dans les territoires touchés par la désertification médicale est doublement aggravée aujourd’hui par :
- La concentration dans ces territoires d’une population âgée et en perte d’autonomie
- Le développement des maladies chroniques, dont le diabète et l’insuffisance cardiaque, liées en partie au vieillissement de la population
Ainsi, un décalage se crée entre une offre de santé qui tend à s’éroder et une demande de santé qui s’accroît et se diversifie. Ces défis invitent à repenser l’organisation des soins et les modalités de prise en charge des patients. Aujourd’hui, de nombreux territoires ont choisi de suivre la voie d’une offre de soins pluridisciplinaire et de proximité. Cette nouvelle offre intègre tout le parcours de santé du patient, depuis la prise en charge jusqu’à l’accompagnement médico-social.
Les acteurs locaux ont donc pris l’initiative pour promouvoir une médecine personnalisée, coordonnée et collaborative. Pour cela, ils s’appuient sur les méthodes du monde digital et du design de services : l’innovation organisationnelle et l’innovation numérique.
Innovation organisationnelle : de nouveaux services de santé centrés sur les besoins des usagers
De nouveaux modes de prise en charge émergent. Ils sont fondés sur la coordination des soins et la personnalisation des parcours des usagers confrontés à de multiples intervenants de santé. Le patient d’hier est aujourd’hui devenu un usager acteur de son parcours. Il est aussi plus attentif aux modalités de la prise en charge de sa santé. C’est pour répondre à ces besoins nouveaux que le cabinet IPSO, à Paris, est à la fois un cabinet médical de proximité et une start-up d’innovation. D’anciens consultants, des professionnels de santé et des ingénieurs informatiques se sont réunis afin d’offrir un accompagnement interdisciplinaire et très varié (addictions, IVG, pratique de l’hypnose). Pour s’adapter aux besoins de la population locale – des jeunes urbains actifs – les horaires d’ouverture sont par exemple très étendus.
À côté de ces expérimentations, des démarches participatives, animées avec des méthodes de design thinking, sont mises en place. Il s’agit alors de co-construire des services de soins innovants avec l’usager. Le but : créer des services adaptés aux besoins des usagers et à leur bien-être. À Lyon, l’entreprise sociale Oz’iris Santé mobilise patients, soignants et innovateurs pour imaginer de nouveaux modes de prise en charge dans le cadre d’une médecine empathique, collaborative et coordonnée. Oz’iris a par exemple accompagné le département d’innovation en gériatrie du Centre gérontologique départemental de Marseille dans la prise en charge non médicamenteuse des patients atteints par la maladie d’Alzheimer, ce qui a débouché sur la création d’un espace multisensoriel.
Innovation technologique : la télémédecine au service de parcours de santé de proximité, personnalisé et coordonné
L’innovation numérique offre de nouveaux services de santé, fondés sur la proximité et la personnalisation des soins. Ces innovations, comme la téléconsultation ou la téléexpertise, contribuent à réinventer les pratiques médicales. Si la télémédecine existe depuis plusieurs années déjà (elle est entrée dans le droit commun en 2018), la crise sanitaire liée au Covid-19 a accéléré l’adoption de la téléconsultation par les Français. Au plus haut de la crise, les consultations à distance ont représenté 11% des consultations totales, contre 1% auparavant. Cette pratique ne remplace pas la consultation physique mais elle contribue à améliorer l’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux. En effet, la téléconsultation permet de réduire les distances et délais de prise en charge. Une modalité qui s’avère utile en particulier aux patients nécessitant un suivi régulier, par exemple les personnes atteintes de pathologies chroniques. Elle est également très pratique pour les maladies nécessitant un simple diagnostic ou pour les renouvellements d’ordonnances. De nombreuses plateformes proposent ce service, comme Doctolib, Livi ou Qare.
De son côté, la téléexpertise est prise en charge par la Sécurité sociale depuis 2019. Elle complète la téléconsultation en réduisant le temps d’accès à un médecin spécialiste. Des acteurs du numérique comme MSSanté ou Apycript ont ainsi lancé des services de messagerie sécurisée entre professionnels de santé. D’autres plateformes, comme Omnidoc, ont créé des plateformes offrant des services plus complets, incluant notamment la prise en charge des démarches administratives des médecins.
Toutes ces innovations, portées par des acteurs ancrés dans les réalités du terrain, s’efforcent d’améliorer l’accès aux soins et de construire des parcours de santé transversaux, personnalisés et coordonnés. Encore dispersées et peu visibles du grand public, elles redessinent le paysage de la santé publique. Ce mouvement tend à créer un réseau d’organisations de santé structuré et soutenu par le numérique pour répondre aux enjeux que sont le vieillissement de la population et les déserts médicaux. Des innovations législatives soutiennent ces initiatives locales. C’est l’objet de ce qu’on appelle communément l’article 51, une disposition de la loi de financement de la Sécurité sociale 2018. Il crée un cadre juridique et financier dérogatoire pour permettre l’expérimentation de nouvelles organisations de santé.