Faire un brouillon avant de se lancer dans le travail au propre, c’est souvent la consigne donnée aux enfants dans le cadre scolaire. Cela a pour avantage de pouvoir tester, se tromper, recommencer avant de réaliser le modèle final. Il serait alors tentant et pratique de réaliser un brouillon pour la plupart des projets que nous réalisons une fois adulte. La chose n’est cependant pas si aisée, lorsqu’il s’agit de projets à grande échelle.
En effet : comment réaliser des tests concernant l’impact de politiques publiques sur la vie des citoyens de la ville, sur la circulation des véhicules ou sur l’environnement ? Les paramètres sont nombreux et la réalisation d’un “brouillon” parait compliqué ; c’est pourtant ce que promet le jumeau numérique des villes.
Un jumeau numérique, dans sa définition générale, n’est pas restreint aux villes. Il s’agit en fait une réplique numérique d’un objet physique qui intègre également ses caractéristiques et ses propriétés. Au premier abord cela ressemble beaucoup à de la CAD (Conception Assistée par Ordinateur), à ceci près que les données qui alimentent le jumeau numérique sont des données réelles et non théoriques. Celles-ci sont en effet récoltées par des capteurs et peuvent être mises à jour dans certains cas en temps réel. Le comportement du jumeau numérique est alors un reflet précis de la réalité.
Si la méthode a été utilisée à ses débuts dans le milieu industriel et notamment l’aéronautique, la défense ou la construction, elle s’étend de plus en plus aux villes et aux Smart Cities pour lesquelles les capteurs déployés permettent d’alimenter le modèle en données ouvrant ainsi la porte à de nombreuses applications.
De la sorte, dans le cas de la ville, les jumeaux numériques peuvent permettre de simuler l’impact économique de l’aménagement d’un quartier en fonction du pourcentage de surfaces dédiées aux activités tertiaires, aux commerces et aux logements, d’évaluer les répercussions de travaux urbains sur le trafic, ou en termes de pollution, ou encore de modéliser des situations de crise comme dans le cas d’inondations. L’outil fournit alors des informations précises afin de faciliter la prise de décision et de rendre les politiques publiques plus efficaces.
Des jumeaux numériques territoriaux phares
Cette méthodologie a ainsi été développée à Singapour qui se positionne en pionnière dans le domaine avec un projet lancé en 2014 et basé sur la solution 3DExperiencity de Dassault Systèmes. Le projet a alors permis aux opérateurs télécoms de la cité-Etat d’optimiser la couverture de leurs réseaux sans fil, à ses propriétaires d’immeubles d’identifier les meilleurs emplacements de panneaux solaires ou encore aux urbanistes d’améliorer la conception des parcs et des voies de circulation dans la ville.
En France, c’est la ville de Rennes qui a lancé un projet de jumeau numérique en 2017. Ce projet englobait ainsi toute l’agglomération et avait pour objectif le partage de données – démographiques, topographiques, économiques – entre les différents acteurs de la ville.
De fait, plutôt qu’un seul grand modèle développé par un seul acteur, il apparaît pertinent d’interconnecter plusieurs modèles représentant des sous-ensemble de la ville (réseau électrique, voiries, bâtiments connectés…). Cela nécessite toutefois une collaboration entre acteurs publics et privés. Et c’est donc ainsi la SNCF s’est lancé en 2019 dans la création d’un jumeau numérique pour la gare de Rennes dans le cadre de sa rénovation. L’objectif est de pouvoir simuler différentes options et leurs impacts sur les clients pour ce qui est du positionnement de commerces, salles d’attente, des services mis à disposition (escaliers mécaniques, ascenseurs, climatisation, éclairage, portes automatiques).
La SNCF prévoit d’ailleurs de numériser 3000 de ses gares. Cela illustre une tendance laissant penser que ces exemples ne seraient que les premiers d’une longue série. En effet, d’après une étude publiée par ABI Research en septembre 2019, il est prévu que le nombre de jumeaux numériques de villes progresse fortement dans les cinq prochaines années. On pourrait ainsi compter près de 500 modèles opérationnels en 2025.
Le développement d’autant de jumeaux numériques de villes pourrait alors marquer une étape. Les jumeaux de plusieurs villes pourraient être connectés entre eux et les villes pourraient alors constituer le sous-ensemble d’un modèle de jumeau numérique à plus grande échelle : celui de la région. Des projets de ce type sont d’ailleurs en cours en Ile-de-France ou en Asie du Sud-Est.
Cas d’usages, données, écosystème : les enjeux du jumeau numérique
Avant cela, les territoires devront faire face et répondre à quelques enjeux que posent ces méthodes : comment collecter suffisamment de données pour que le jumeau numérique soit pertinent ? Quels modèles pour représenter le territoire de façon réaliste ? Quels usages du jumeau numérique au-delà de l’aménagement du territoire pour que l’investissement soit rentable ? Quels partenaires et quel écosystème autour d’un outil qui représente une opportunité de développer la coopération au niveau territorial ?
Autant d’enjeux auxquels les cas d’application concrets du jumeau numérique apportent progressivement des éléments de réponse.