A l’aube de la smart city, les innovations technologiques et numériques, comme les capteurs communicants, applications mobiles et véhicules autonomes, permettent de mieux gérer la ville et l’espace. Mais ces initiatives smarts peuvent aussi créer de nouvelles inégalités, entre ceux qui maîtrisent – et utilisent – les services numériques et ceux qui n’y ont pas accès. Avec près de 20% des Français qui n’utilisent pas internet, il est légitime de se demander aujourd’hui si la smart city ne répond aux besoins d’une seule partie de la population et si elle ne va pas creuser de nouvelles inégalités dans les villes.
En effet, la numérisation croissante des services pourrait mettre à l’écart une partie de la population, ne maîtrisant pas les outils digitaux : selon l’agence nationale du numérique, 16 % des Français ne se sentent pas capables d’effectuer une démarche administrative en ligne et 40 % sont inquiets à l’idée d’en effectuer une. On peut aussi se demander si seuls ceux qui appartiennent à la sphère “smart” ont une voix dans une ville où le citoyen est mesuré principalement par les données qu’il fournit. S’ajoute en plus des inégalités également reflétées au niveau des territoires, entre les métropoles, qui sont au cœur des projets smart city, et les petites villes, en marge. Les petites villes ayant plus de mal à attirer les initiatives smart, faute de moyens, d’infrastructures ou de perspectives de revenus pour les entreprises, ne peuvent proposer à leurs citoyens des innovations numériques comme ceux des métropoles.
L’inclusivité est donc un enjeu de taille pour les smart city, mais est-il vraiment propre à la ville intelligente ? Depuis toujours, les villes sont concernées par de nombreux défis : combattre l’exclusion sociale, favoriser l’accès à l’éducation et à la culture, créer de l’emploi et de la valeur,… Certes, le numérique est un nouveau défi mais des actions sont déjà enclenchées pour réduire ces inégalités, notamment le Plan National pour un Numérique Inclusif pour former les personnes exclues du numérique ou le Plan du Très Haut Débit pour améliorer l’accès du Très Haut Débit d’ici 2022. De plus, si on regarde l’évolution du numérique ces dernières années, la fracture numérique semble plutôt se résorber d’après l’étude de la sociologue Dominique Pasquier, avec une adoption rapide des outils numériques par les usagers les plus modestes notamment. Le mobile a aussi augmenté l’accessibilité des services et aujourd’hui, plus de 75% des français possèdent un smartphone.Par ailleurs, les outils numériques ouvrent également de nouvelles opportunités pour plus d’inclusivité. Dans la smart city, les phénomènes urbains, sociaux et environnementaux peuvent être mesurés, analysés et anticipés en temps réel grâce à l’abondance de données collectées. Celles ci fournissent des indicateurs précis et objectifs sur l’état de la ville, et éclairent alors les sources d’inégalités bien plus rapidement et précisément que dans le modèle de la ville classique. Les politiques ont une meilleure connaissance de leur ville, et peuvent donc, idéalement, agir de manière plus ciblée et efficace pour résoudre les problèmes d’inégalité. C’est pourquoi, d’après une étude du McKinsey Global Institute, des solutions de gouvernance smart peuvent améliorer des critères de qualité de vie (santé, sécurité, environnement) de 10 à 30%.
Certains acteurs de la smart city placent même l’inclusivité au cœur de leur activité : ce sont les “civic tech”. Ces entreprises utilisent les nouvelles technologies pour répondre à des enjeux sociaux. C’est le cas de Silicon Valley Triage Tool, un outil d’analyse prédictive en Californie qui aide à optimiser les espaces d’accueil pour les personnes sans abris, ou encore de Fastoche, une application mobile développée par PayBoost qui accompagne les personnes en état de précarité dans la gestion de leur budget. Cette application est à la fois un coach budgétaire et social, en informant les utilisateurs sur leurs droits aux aides sociales en fonction de leur situation.
Quelle doit être alors la démarche d’une smart city inclusive? Pour mettre l’humain au cœur de son projet, la ville intelligente ne peut se limiter à apporter une réponse technologique à chaque problématique urbaine. Le numérique est un moyen pour les villes, mais sans leadership fort pour porter les valeurs de diversité, d’égalité et de durabilité dans les projets, la smart city ne pourra réduire les inégalités. Pour une smart city humaine, il faut adapter les projets aux besoins des citoyens en augmentant leur participation dans la conception de leur ville, et tacler le problème de l’exclusion digitale.
La smart city n’est ni plus ni moins inégalitaire que la ville traditionnelle, cela dépend de la volonté politique de développer une ville inclusive. Les villes doivent poursuivre leurs avancées technologiques, mais les leaders doivent constamment évaluer leurs plans d’implémentation afin d’assurer que les valeurs de communauté soient maintenues et que les bénéfices des avancées profitent à tous.